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4 février, 2022
Au fond de l’échiquier de la protection du patrimoine naturel

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Diego Creimer
Responsable – Solutions nature pour le climat et relations gouvernementales

Ancien journaliste et curieux sans frontières, Diego a travaillé en communications et politique environnementale pour plusieurs organisations canadiennes. Petit producteur forestier en Beauce, il aime autant discuter de politique environnementale qu’écouter les gloussements des gélinottes au beau milieu d’une sapinière.


Au jeu d’échecs, le pion a des possibilités de mouvement assez limitées. Il avance droit devant, il capture en diagonale. Tout pion voudrait se rendre au fond de l’échiquier pour être promu à une pièce plus puissante. À reine, en fait. Mais les embûches pour y arriver sont nombreuses. Curieusement, les efforts de conservation et de protection de la biodiversité dans le sud du Québec ressemblent à un jeu d’échecs où la nature est confinée au rôle de pion et peine à avancer.

Ceci est particulièrement grave dans un contexte de dérèglements climatiques et de perte accélérée de biodiversité, deux phénomènes interreliés qui s’alimentent l’un l’autre. Selon le Rapport Planète vivante Canada 2020, « depuis 1970, les populations d’espèces canadiennes en péril à l’échelle nationale ont connu un déclin de 59 % en moyenne, et les populations d’espèces jugées en péril à l’échelle mondiale ont reculé de 42 % en moyenne au Canada. » Une partie importante de ce recul a eu lieu dans les milieux urbains, les terres agricoles et les forêts du sud du pays, et il est attribuable aux changements d’affectation des terres.

© Jachym Michal

Les quelques 320 espèces végétales et animales classées comme vulnérables, en péril ou en voie d’extinction au Québec témoignent des impacts de cette transformation et des difficultés à renverser la tendance. La pandémie qui paralyse notre planète témoigne, quant à elle, des risques toujours incalculables résultant de la destruction du patrimoine naturel. À la lumière de ces constats scientifiques, leur protection semblerait prescrite de facto, et l’inaction ne serait point une option viable.

Pourtant, les citoyens, les organisations environnementales et les administrations municipales qui comprennent l’urgence de protéger et de restaurer la nature dans les zones les plus densément urbanisées se heurtent à des obstacles parfois insurmontables.

Au Québec, une vision purement économique du territoire continue de considérer les terres entourant les villes non pas comme des fournisseurs de services écosystémiques essentiels – tels qu’un air plus respirable, une barrière contre les inondations où un véritable garde-manger assurant la sécurité alimentaire de millions d’habitants – mais plutôt comme une opportunité d’affaires pour repousser les frontières de l’étalement urbain et la perception de taxes foncières. D’un point de vue écologique, cette logique est dangereuse, voire suicidaire.

Il reste peu de terres publiques dans le sud du Québec. Par conséquent, les efforts de conservation visent souvent des terres privées, à proximité des villes, comme c’est le cas en Montérégie, dans la Vallée de l’Outaouais, Lanaudière et les Basses-Laurentides. Ces terres coûtent généralement très chères.


Nous avons besoin d’un leadership fort pour donner à la protection de la nature les outils financiers, légaux et réglementaires qui lui permettent d’atteindre l’ampleur et la vitesse que le déclin de la biodiversité, la crise climatique et la santé de nos populations exigent.

Diego CREIMER

En ce moment, un propriétaire dont le terrain est zoné pour permettre un développement immobilier, si celui-ci est visé par un changement de zonage à des fins de conservation, se tourne immédiatement vers la justice pour réclamer une valeur d’expropriation beaucoup plus élevée que celle du marché, en arguant qu’il subira une perte de profits potentiels. Les municipalités craignent donc des coûts d’expropriations et des poursuites, ce qui met un frein réel à leurs ambitions de protection de la nature.

Au moment où le Québec achève sa grande conversation nationale sur l’aménagement du territoire, ces questions deviennent plus urgentes que jamais.

Nous avons besoin d’un leadership fort pour donner à la protection de la nature les outils financiers, légaux et réglementaires qui lui permettent d’atteindre l’ampleur et la vitesse que le déclin de la biodiversité, la crise climatique et la santé de nos populations exigent.

Nous avons besoin que le pion de la nature avance librement en surmontant plus aisément les obstacles bureaucratiques existants.

Au fond de l’échiquier, nous avons besoin que la nature soit promue en reine.