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16 février, 2023
Il ne faut pas jeter le bébé des redevances avec l’eau des taxes

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Jean-Philippe Lemay
Chef de projet en écofiscalité

Jean-Philippe est un avocat passionné par le droit de l’environnement qui a complété son stage du Barreau au Centre québécois du droit de l’environnement avant de se joindre à l’équipe de la SNAP Québec en janvier 2023. Dans son temps libre, il se perd dans des romans ou des forêts! 


Diego Creimer
Directeur finance et biodiversité

Ancien journaliste et curieux sans frontières, Diego a travaillé en communications et politique environnementale pour plusieurs organisations canadiennes. Petit producteur forestier en Beauce, il aime autant discuter de politique environnementale qu’écouter les gloussements des gélinottes au beau milieu d’une sapinière.


Cette semaine nous avons lu avec surprise et intérêt certaines critiques émises à l’égard du nouveau règlement REG-460 créant une redevance de développement dans la Ville de Brossard. Le texte du journaliste André Dubuc de La Presse cite notamment les propos de l’économiste Mario Polèse de l’Institut national de la recherche scientifique, qui qualifie la mesure d’injuste pour les nouveaux acheteurs qui se verraient refiler indirectement une redevance de 3 527 $ par nouveau logement. Selon les propos recueillis par le journaliste, M. Polèse considère que la taxe foncière serait plus juste, car elle « socialise la facture en la refilant à tous les propriétaires de la ville. » Et M. Polèse de conclure que la possibilité pour les villes du Québec de créer des redevances réglementaires pour diversifier leurs revenus est un piège dans lequel les municipalités tomberont inéluctablement. 

Nous faisons partie d’un nombre grandissant de personnes qui s’intéressent au potentiel de l’écofiscalité au niveau municipal, et nous avons été interloqués par ces affirmations catégoriques. Nous voudrions émettre quelques bémols sur ces critiques et présenter le potentiel des redevances réglementaires pour la protection de l’environnement. 

D’abord, les redevances réglementaires visent précisément à ne pas socialiser la facture découlant d’un régime municipal. Au contraire, les redevances permettent d’imposer avec davantage de précision le fardeau fiscal à la catégorie de propriétaires ou d’activités qui profitent du régime ou en créent le besoin. En contrepartie, les revenus découlant de la redevance doivent exclusivement financer ce régime. Dans le cas des redevances de développement, comme dans l’exemple de Brossard, les coûts liés à la demande accrue en services et en infrastructures retombent sur les épaules des contribuables qui en créent le besoin plutôt que d’être imposé à tous.  

Si on applique ce mécanisme au domaine de la protection de l’environnement, les opportunités de créer des cercles vertueux se multiplient. En ciblant des occupations du sol ou des activités jugées nuisibles à l’environnement et aux écosystèmes, les redevances permettent d’appliquer les principes d’utilisateur-payeur et de pollueur-payeur consacrés dans la Loi sur le développement durable. Les municipalités peuvent utiliser ces revenus supplémentaires pour financer des projets environnementaux qui contribueront à l’adaptation et à la lutte aux changements climatiques et amélioreront la qualité de vie de leurs citoyens. Une telle mesure d’écofiscalité fondée sur le bonus-malus peut, à terme, induire des changements de comportements positifs. Et cela, sans taxer l’ensemble des citoyens. 

D’ailleurs, Alain Dubuc commet une erreur lexicale en parlant d’une taxe pour décrire la redevance de développement établie par la ville de Brossard. Bien que les taxes et les redevances aient plusieurs éléments en commun, leur fondement juridique et leur objectif diffèrent. On constate cette distinction dans la Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leur pouvoir, adoptée par l’Assemblée nationale du Québec en juin 2017, qui permet aux municipalités d’établir des redevances réglementaires pour modifier les comportements et financer des régimes municipaux spécifiques.  
 
La distinction n’est pas banale. De nos jours, les taxes ont très mauvaise presse, justement parce qu’elles sont perçues a priori comme visant de grands pans de la population pour gonfler les coffres de l’état. Or, les redevances visent des tenures et des activités précises, et leur produit ne peut jamais aller dans le fonds général des municipalités. On gagnerait à bien comprendre et à bien communiquer cette différence. 

Surtout que dans un contexte d’efforts accrus pour protéger les milieux naturels entourant nos villes, les redevances réglementaires peuvent nous rendre un bon service à bas coût économique et politique. En effet, elles s’accordent bien avec l’approche des solutions nature pour le climat, qui sont un ensemble d’actions mettant de l’avant les écosystèmes dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’adaptation aux changements climatiques. Ces solutions s’appliquent tant aux secteurs de l’agriculture, de la gestion des eaux, de la foresterie que de l’aménagement urbain. Contrairement aux technologies et aux infrastructures « grises », elles génèrent plusieurs co-bénéfices pour la biodiversité et les populations humaines. 
 
En jumelant des solutions nature pour le climat -comme la protection des bandes riveraines, la création des parcs éponge ou l’augmentation de l’indice de canopée- aux mesures d’écofiscalité tel que les redevances réglementaires, on peut créer des cercles vertueux. Ces mécanismes permettent d’alléger le fardeau financier des municipalités dans la protection de leurs écosystèmes et incitent un secteur précis de la population à adopter un changement de comportement positif pour l’environnement sans pénaliser l’ensemble de la population, ce qui représente un gain collectif net. L’écofiscalité permet aussi aux municipalités de diversifier leurs sources de revenus. Rappelons que leur dépendance actuelle envers la taxation foncière est largement critiquée pour son rôle dans l’étalement urbain et la destruction des derniers milieux naturels dans le Sud du Québec. 
 
Les critiques à l’égard des redevances municipales doivent faire preuve de prudence, à notre avis. Dans un contexte d’urgence climatique, d’étalement urbain et de dégradation rapide des écosystèmes desquels nous dépendons, l’écofiscalité municipale, dont les redevances sont un pilier fondamental, peut être porteuse de justice sociale et environnementale. Évidemment, comme toutes mesures d’écofiscalité, les redevances doivent être élaborées avec un souci pour l’équité et les impacts différenciés sur la population, notamment par l’ajout de mesures d’accès à la propriété et d’exceptions pour les logements sociaux et abordables, dans le cas de redevances de développement. 

Ce que Brossard a fait cette semaine avec l’adoption du règlement REG-460 est aussi un geste porteur de justice. Comme l’a dit le conseiller de ville Christian Gaudette lors du vote, « cette redevance est un geste d’équité envers tous les Brossardois, anciens et nouveaux. » 

Puisse ce principe se transposer rapidement à la protection de l’environnement.