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16 octobre, 2024
À bas la publicité! Vive la publicité?

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Alice de Swarte
Conseillère stratégique,
SNAP Québec

Est-ce que la publicité favorise la dégradation de l’environnement? Oui, répond le scientifique en chef du Québec.  

Selon une étude britannique, une personne régulièrement exposée aux publicités pour VUS a 250 % plus de chance de posséder un tel véhicule, pourtant reconnu comme beaucoup plus polluant qu’une auto traditionnelle

En associant l’idée d’acheter à celle du plaisir, voire du bonheur, la publicité est un puissant moteur d’un système économique fondé sur l’accroissement perpétuel de l’offre et de la demande.  Or, ce modèle qui ignore les limites d’un monde aux ressources finies, nous plonge dans une sorte de boulimie et nous mène à consommer l’équivalent d’1,7 planète par an.  

Non seulement la publicité nous incite à consommer des biens et services dont nous n’avons pas nécessairement besoin, mais elle utilise des supports qui sont énergivores et polluants.  À titre d’exemple, un écran publicitaire de 200 kg nécessite 8 tonnes (8000 kg) de matériaux pour sa construction.

La surproduction qui est imbriquée au système de publicité entraîne une pression énorme sur les écosystèmes naturels, que ce soit pour extraire les matières premières nécessaires ou pour gérer la quantité de déchets et polluants qui en résulte. Bref, la publicité joue un rôle dans la crise de la biodiversité et nous devons nous attaquer à ce problème.  

Tour d’horizon de solutions déployées pour tenter d’y remédier.    

Peut-on faire confiance aux entreprises?

Soucieuses de leur impact, et sans doute aussi de leur image de marque, certaines entreprises proposent d’améliorer leurs pratiques en matière de publicité.  Ainsi, l’association Entreprises pour l’environnement a publié un guide visant à prévenir les dix stéréotypes les moins écoresponsables dans les campagnes de publicité2. Parmi ceux-ci on peut relever la promotion d’un rythme de vie effréné, d’une nature fantasmée ou domestiquée, ou encore l’idée qu’acheter rend heureux.  

Mais pendant que certains joueurs tentent de s’auto-réguler, l’écoblanchiment fait des ravages. Désignant « les stratégies visant à transmettre des informations fausses ou trompeuses qui donnent l’impression qu’un produit est plus écoresponsable qu’il n’y paraît » selon le CQDE, l’écoblanchiment est un véritable fléau qui fait éventuellement peser le fardeau de signaler les cas et entreprendre des recours judiciaires sur les citoyens et aux collectifs.  

Si on souhaite s’attaquer sérieusement aux crises de la biodiversité et du climat, ne devrait-on pas simplement interdire les publicités pour les produits qui contribuent directement au déclin des espèces, comme ont été interdites les publicités pour les armes à feux ou le tabac ?  

C’est en tout cas la direction dans laquelle nous invite le secrétaire général de l’ONU, qui a récemment appelé à l’interdiction de la publicité concernant les énergies fossiles

Une bataille qui se joue sur plusieurs fronts

Aux Pays Bas, plusieurs municipalités ont interdit la publicité visant certains produits polluants. C’est par exemple le cas d’Utrecht, 4e ville du pays, qui interdit la publicité pour les produits de la viande, des produits laitiers et des voyages en avion.  

En France, la ville de Lyon s’est quant à elle attaquée aux supports publicitaires et vient d’adopter un nouveau règlement interdisant la publicité numérique en extérieur, réduisant la taille autorisée des panneaux publicitaires et obligeant à l’extinction des publicités lumineuses et des enseignes la nuit.  

La ville de Grenoble, pionnière dans la lutte contre la pollution visuelle, poursuit quant à elle la bataille en retirant des espaces publicitaires de l’espace public. Déjà 326 encarts ont été retirés, au grand dam de l’entreprise JC Decaux.  

Si les solutions existent et ne demandent qu’à être répliquées pour encadrer la publicité dans l’espace public, la régulation de la publicité numérique demeure un enjeu de taille.  

Véritable mine d’or pour les GAFAM, nos données personnelles sont largement utilisées pour nous assaillir de publicité ciblée. Et l’irruption de l’intelligence artificielle vient décupler les possibilités de cette publicité comportementale en ligne. De la même façon qu’on peut signaler notre refus de recevoir des circulaires dans nos boîtes aux lettres ne devrait-on pas pouvoir refuser de recevoir les publicités nuisibles en ligne?  

Il est urgent que nos gouvernements aillent beaucoup plus loin dans la régulation de la publicité. Mais il serait contre-productif d’ignorer l’importance des choix individuels en matière de consommation. 

En avez-vous vraiment besoin? Non, mais nous en avons le désir!

En France, en 2020, la Convention citoyenne pour le climat proposait une obligation d’apposer dans toutes les publicités l’inscription d’une mention du type « En avez-vous vraiment besoin? La surconsommation nuit à la planète » afin d’inciter le consommateur à réfléchir à ses besoins avant l’acte d’achat.  

Le ministère de la transition écologique a par la suite lancé une campagne sur la consommation responsable, s’appuyant sur le personnage du « Dévendeur ». Ce dernier est un conseiller atypique qui n’hésite pas à dissuader les acheteurs d’acheter un objet dont ils n’ont pas besoin, à l’orienter vers des alternatives à l’achat comme l’emprunt ou la réparation ou encore à lui conseiller un produit de seconde main ou porteur d’un bon indice de réparabilité. 

Cette campagne, qui invite clairement au refus de la consommation, est audacieuse de la part d’un gouvernement, et il faut souhaiter qu’elle soit répliquée.  

Mais attention préviennent certains experts. Il ne faut pas seulement jouer sur le tableau des besoins, mais aussi celui des désirs.  

Pour de nouveaux récits qui ré-enchantent l’écologie

Dans son livre No logo, la tyrannie des marques, Naomi Klein nous dit « IBM ne vend pas des ordinateurs, mais des solutions d’affaires. Swatch, ce n’est pas des montres, mais une idée du temps ». Au-delà de la simple satisfaction de nos besoins, la publicité joue sur nos désirs et notre imaginaire.  

Or, l’imaginaire écologique est souvent décrié comme étant tellement catastrophiste qu’il empêche la majorité d’entre nous de passer à l’action et de changer nos comportements.  

On parle de plus en plus de la nécessité de développer de nouveaux récits qui proposent une vision heureuse, désirable de la transition écologique. Il apparaît alors plus mobilisant de parler de sobriété heureuse ou de frugalité conviviale, que de décroissance ou d’effondrement.  

La publicité pourrait-elle alors jouer un rôle dans la création de ces nouveaux récits ?  

Ringardiser le capitalisme

Un récent spot publicitaire de la plateforme de seconde main Vinted met en scène un homme portant une dizaine de chapeaux empilés sur la tête, ou encore une femme portant une demi-douzaine de vestes sur le dos. Cette campagne « Trop? » (« Too many? » en anglais) nous interpelle avec humour quant à l’accumulation de vêtements et accessoires dans nos garde-robes et nous invite à reconsidérer nos façons de consommer. 

« Le sujet n’est pas de battre le capitalisme, c’est de le ringardiser » dit Bastien Sibille, co-fondateur de l’opération Milliard, une initiative visant la transformation écologique juste de l’économie. Plutôt que de s’attaquer frontalement à nos modes de production et de consommation, il propose : « Montrons que nous voulons autre chose. Que nous avons changé notre façon d’être heureux.ses ». 

Si aucune cible du Cadre mondial pour la biodiversité ne vise la publicité ou la question de nos imaginaires collectifs, la cible 16 demande aux États de réduire l’empreinte mondiale de la consommation, en limitant la surconsommation et en encourageant les populations à faire des choix de consommation durables. Le Québec et le Canada sauront-ils s’inspirer des quelques solutions partagées ici pour répondre à l’appel? 

Des changements profonds dans notre système économique et notre système de valeurs sont nécessaires pour lutter efficacement contre l’effondrement de la biodiversité.

À quelques semaines de la COP16 sur la biodiversité, la SNAP Québec souhaite nourrir le dialogue initié lors de la précédente COP avec l’Appel de Montréal et explore des pistes de solution pour opérer ces changements transformateurs.

Lire notre lettre ouverte dans La Presse