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21 janvier, 2025
Victoriaville adopte une nouvelle mesure d’écofiscalité pour protéger sa canopée

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Diego Creimer
Directeur finance et biodiversité à la SNAP Québec
Jean-Philippe Lemay
Avocat à la SNAP Québec

Payer pour les arbres coupés afin de financer la plantation d’autres arbres, voilà l’idée très simple à la base du nouveau règlement de la Ville de Victoriaville qui, dans les faits, porte un titre beaucoup plus grandiloquent : 

« Règlement imposant une redevance réglementaire pour promouvoir la protection de la canopée et pour pourvoir aux besoins d’un fonds destiné à financer la plantation d’arbres, la mise en place de mesures visant la plantation d’arbres et la sensibilisation de la population à l’importance de la canopée. » 

Même un grand chêne serait intimidé devant une telle trombe de mots savants ! 

Ce lundi 13 janvier 2025, après deux ans de collaboration continue avec la SNAP Québec, l’École nationale d’administration publique (ÉNAP) et le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) pour concevoir une mesure d’écofiscalité juste et viable, le conseil municipal de Victoriaville a adopté un règlement qui impose une redevance aux demandeurs d’un permis de construction qui coupent des arbres pour construire ou agrandir un bâtiment. Les fonds perçus via cette redevance serviront à financer la plantation d’arbres dans l’ensemble de la Ville de Victoriaville, avec l’objectif affiché d’augmenter l’indice de canopée à 30 %. Il est actuellement de 22,4 %. 

Dans un contexte de changements climatiques entraînant des canicules et des épisodes de pluie intenses plus fréquents, les arbres sont des alliés redoutables et favorisent notre résilience collective.  Ils captent et stockent du carbone dans leur matière ligneuse, ils purifient l’air, fournissent de l’ombre et aident à contrôler les inondations en absorbant de l’eau et l’évaporant par leur feuillage. Quand on tient compte des coûts des infrastructures « grises » nécessaires à la gestion de l’eau de pluie, de la pression accrue sur le système de santé qu’impliquent les canicules et la détérioration de la qualité de l’air, et même des coûts plus diffus, mais aussi réels de nos émissions de GES, on comprend que l’augmentation de la canopée est un bon investissement. 

Victoriaville, vue du Mont Arthabaska (crédit Ville de Victoriaville)

Pénaliser la destruction de la canopée pour encourager sa croissance 


La beauté de l’écofiscalité municipale est double : d’une part, elle permet de créer des mesures fiscales autofinancées pour favoriser la protection de l’environnement; d’une autre, ces mesures entraînent, à terme, un changement de comportement chez la population visée par la mesure en question. On appelle cela un bonus-malus. 

Dans le cas de la nouvelle redevance de Victoriaville visant la protection de la canopée, les coûts d’implantation sont nettement plus bas que ce que la mesure pourra rapporter. En fait, le seul coût d’implantation estimé pour le moment est de 75 500 $ pour l’acquisition de données géomatiques. 

« Le revenu estimé dans le budget 2025 suite à l’application de cette mesure est de 200 000 $. Nous prévoyons que la coupe d’arbres sera réduite après la mise en place de cette mesure. Il est à noter que la mesure n’a pas pour objectif de recueillir des fonds, mais de limiter la diminution de la canopée à Victoriaville », nous explique Catherine Ouellet, directrice des finances à la Ville de Victoriaville. 

Ce changement de comportement anticipé est le résultat le plus important de l’ensemble de l’exercice. Une mesure d’écofiscalité qui perd son assiette fiscale en est une qui a connu un succès absolu. 

Un premier jalon en écofiscalité appliquée aux solutions nature 

Cela a pris plusieurs mois pour réussir à adopter un premier règlement d’écofiscalité dans le cadre du projet de la SNAP Québec d’implantation de solutions nature pour le climat. Nous sommes confiants que la cadence s’accélère suite à l’adoption de cette première mesure. 

Les trois municipalités qui participent actuellement au programme d’écofiscalité mené par la SNAP Québec (Victoriaville, Varennes et Nicolet) développent de nouvelles mesures avec l’aide et l’expertise apportées par l’ÉNAP et le CQDE. Tout en étant dépendants des agendas et des cycles politiques, nous nous attendons à ce que ces trois villes adoptent d’autres règlements en 2025 et 2026. C’est une bonne nouvelle pour l’environnement et pour les autres municipalités du Québec qui pourront s’en inspirer et adapter ces mesures à moindre coût et effort.   

Pour l’instant, les mesures sur la table à dessin visent à inciter encore davantage l’augmentation de la canopée urbaine, à diminuer les surfaces non végétalisées et à améliorer la gestion des eaux de pluie.   

Plantation d’arbres à Victoriaville (crédit Ville de Victoriaville)

Viser la souplesse et l’efficacité


Le règlement adopté par Victoriaville est une bonne démonstration de la souplesse que peut offrir un règlement d’écofiscalité à une municipalité soucieuse de protéger sa canopée malgré les besoins de nouvelles habitations. Dans ce cas-ci, le développement demeure possible, mais les promoteurs ont un fort incitatif pour éviter le plus possible la coupe d’arbres. Pour les arbres qui doivent être coupés, la population a la certitude que la redevance imposée permettra de financer les efforts de plantation de la municipalité. Mais pour être efficaces, les mesures d’écofiscalité doivent être complémentaires et cohérentes avec les règlements d’urbanismes et les politiques municipales. Cette cohérence et compatibilité sont assurées par le travail préalable de recherche qu’on mène avec l’ÉNAP et le CQDE. Chaque mesure d’écofiscalité est discutée à fond pour identifier tous les pour et contre. 

L’arbre est mort, vive l’arbre ! 


Il sera particulièrement intéressant d’observer la vitesse à laquelle le changement de comportement et l’augmentation de l’indice de canopée s’opéreront à Victoriaville. 

Est-ce que les propriétaires, les entrepreneurs, les architectes, enfin, tous celles et ceux qui construisent ou agrandissent des bâtiments sentiront rapidement les effets de la redevance et seront progressivement plus enclins à adapter leurs plans pour couper le moins d’arbres possible ? Est-ce que la perte de canopée se réduira sur les chantiers, et augmentera partout sur le territoire de Victoriaville avec le financement de nouvelles plantations d’arbres ? En toute logique, oui. 

« Les bienfaits des arbres sur notre qualité de vie profiteront à toutes et tous. Ces mesures visent non seulement à encourager la plantation d’arbres, mais aussi à sensibiliser les acteurs locaux à leur importance. L’objectif est d’exempter un jour de cette contribution les propriétaires de terrains résidentiels, commerciaux ou industriels qui auront un nombre suffisant d’arbres », expliquait le maire de Victoriaville Antoine Tardif dans un communiqué de presse début décembre.  

Les prochains mois nous apprendrons beaucoup sur l’efficacité de cette première mesure d’écofiscalité appliquée aux solutions nature. Chaque arbre coupé dans un chantier entraînera des coûts supplémentaires pour qui l’abat. 

Et chaque dollar recueilli grâce à la nouvelle redevance sera un vecteur de changement.  

Jusqu’à ce que le changement l’emporte !