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7 juin, 2025
Pour une économie bleue qui n’appauvrit pas l’Océan

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Alice de Swarte
Conseillère stratégique à la SNAP Québec

À la veille de la Journée mondiale des océans et alors que la France s’apprête à accueillir la troisième conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC-3), rappelons que 97 % des milieux marins subissent l’impact des activités humaines.

Au Québec, malgré le fait que l’état de santé du Saint-Laurent ne cesse de se dégrader, le gouvernement investit des centaines de millions de dollars pour mieux exploiter le potentiel économique du fleuve et en faire un corridor « performant ».

Est-il possible de concilier économie bleue et limites écologiques? Nous pensons que oui, mais à certaines conditions.

S’attaquer aux racines du déclin de la nature

La pollution, l’acidification et la surexploitation sont des causes bien connues de l’appauvrissement de l’Océan. Or, les scientifiques de l’IPBES (l’équivalent du GIEC pour la biodiversité) ont mis en lumière des causes indirectes des crises environnementales actuelles, ou « causes sous-jacentes ».

L’expansion du commerce international, l’augmentation de la consommation par habitant ou encore certaines innovations technologiques sont pointées du doigt comme autant de facettes du « paradigme actuel de la croissance économique ».

Leur message est clair: si on ne change pas de modèle, nous n’arriverons pas à renverser l’effondrement de la biodiversité ni la crise climatique. Il ne s’agit plus seulement de protéger les écosystèmes clés ou de réduire les émissions de GES mais aussi de réformer l’économie et repenser notre lien avec la nature.

Voici quelques pistes pour opérer ces changements transformateurs :

Déplastifier notre économie

Chaque année, plus de 11 millions de tonnes de plastique se retrouvent dans l’Océan, impactant l’ensemble de la vie humaine et non humaine. Dans le fleuve Saint-Laurent, la concentration en microplastiques figure parmi les plus élevées jamais enregistrées dans le monde.

Véritable symbole de l’économie du jetable, le plastique contamine les estomacs des oiseaux marins jusqu’aux organes humains.

Les innovations technologiques comme les plastiques dits « biosourcés » ou « biodégradable » – qui ne le sont pas réellement – ou le recyclage – qui ne concerne que 9% des déchets au prix d’un processus énergivore et inefficace sur le long terme – sont de fausses solutions qui ne font que repousser le problème. Il est urgent de déplastifier nos modes de vie par une sortie progressive, mais radicale, du plastique. Certaines juridictions, comme l’Union Européenne ou le Canada, ont déjà fait un premier pas encourageant en interdisant certains plastiques à usage unique, mais la déplastification nécessite d’aller beaucoup plus loin en repensant l’entièreté de nos modes de production, de consommation et d’utilisation du plastique.

C’est pourquoi il est crucial d’exiger qu’un objectif global de réduction de la production plastique soit adopté pour enclencher la déplastification au niveau mondial. L’UNOC est une opportunité pour les gouvernements de se remobiliser en amont des prochaines négociations sur le Traité international sur le Plastique qui se tiendront à Genève en août prochain.

Transport de marchandises: et si on contingentait le trafic maritime?

Avec 80% des marchandises transportées par bateau, le transport maritime est la clé de voûte du commerce mondial. Hydrocarbures, charbons, minerais, produits forestiers et céréaliers, chaque tonne de marchandise parcoure en moyenne 8000 kilomètres entre son lieu de production et son lieu de consommation. Au Québec, ce sont 155 millions de tonnes de marchandise qui sont manutentionnées dans nos ports, soit environ 17 tonnes par habitant.

Souvent promu comme ayant une plus faible empreinte carbone que les autres modes de transport, le fret maritime a pourtant des impacts environnementaux dramatiques en termes de bruits sous-marins, de collisions avec des mammifères marins ou encore de rejets toxiques.

Jusqu’à maintenant, les solutions proposées visent surtout la décarbonation du secteur, tandis que certaines initiatives volontaires, telle que la certification de l’Alliance Verte, promeuvent entre autres la réduction du bruit sous-marin ou la prévention des rejets toxiques. En plus de ces mesures indispensables, pourquoi ne pas plafonner le trafic maritime?

Établir un seuil limite sur le nombre et la taille des bateaux circulant sur nos milieux marins serait une occasion de réfléchir au type et à la quantité de biens que l’on souhaite échanger. Le déploiement de cette vision viendrait aussi s’appuyer davantage sur de petites infrastructures portuaires et maritimes, en accord avec la capacité de support des écosystèmes et des retombées souhaitées pour les communautés côtières.

Dans le contexte d’instabilité mondiale actuelle, donnons-nous une nouvelle boussole: celle des limites planétaires.

La bataille culturelle : faire évoluer les valeurs et les imaginaires

Les scientifiques considèrent que la déconnexion à la nature constitue un autre frein majeur aux efforts de protection de l’environnement. Dès lors, la bataille pour la sauvegarde du vivant se joue également sur le front des valeurs et des imaginaires.

C’est dans cet esprit que chaque automne depuis 10 ans, la SNAP Québec organise un événement afin de remercier la nature pour tous ses bienfaits. Au travers d’un parcours de connexion à la nature, Grâce à la nature est une invitation à ralentir et à s’interroger sur le rôle vital de la nature dans nos vies.

Il est temps de démultiplier des expériences qui permettent d’inventer une nouvelle relation à l’Océan, qui relève plus de la connexion que de l’exploitation.