Blogue

27 février, 2025
Pour lutter contre les crises du climat et de la biodiversité, la nature est notre meilleure alliée

Partager ce contenu


Nicolas Mainville
Directeur conservation et climat à la SNAP Québec

Depuis quelques mois, partout au Québec, de nombreux groupes citoyens, des communautés autochtones, des municipalités et des universitaires s’unissent afin d’identifier, documenter et protéger des milieux naturels exceptionnels et ainsi lutter contre la double crise du climat et de la biodiversité. Cet élan pour la conservation, c’est le projet Nature alliée, coordonné par la SNAP Québec et Nature Québec. Cette initiative de grande envergure vise à protéger plus de 2 millions d’hectares de forêts et de milieux humides riches en carbone et d’informer la population québécoise sur l’importance de la conservation comme outil de lutte et d’adaptation contre les changements climatiques.

Des écosystèmes exceptionnels qui méritent notre pleine attention

Nous avons la chance au Québec d’avoir d’immenses étendues de milieux naturels qui, en plus d’être d’une grande valeur culturelle pour les Premières Nations, d’abriter des milliers d’espèces animales et végétales et d’apporter de nombreux bénéfices pour la santé physique et mentale des Québécoises et des Québécois, jouent un rôle capital pour la régulation du climat planétaire. Chaque année, les forêts québécoises captent l’équivalent du double des gaz à effet de serre (GES) relâchés par l’ensemble des véhicules de la province, soit plus de 58 millions de tonnes de CO2eq1. En plus de capter activement le carbone de l’atmosphère, nos milieux naturels sont d’immenses réservoirs contenant plus de 20 gigatonnes de carbone2, une quantité difficile à imaginer mais qui, si convertie en émissions de notre parc automobile, prendrait plus de 2000 ans à émettre3!

Fait intéressant, près de 80% de tout le carbone stocké dans nos milieux naturels se retrouve dans les sols qui agissent dans le temps comme de véritables éponges4. En gardant emprisonnées ces immenses quantités de carbone, nos milieux naturels sont des alliés inconditionnels à la lutte aux changements climatiques. Fait encore plus intéressant, ce sont souvent les milieux les plus riches en carbone qui abritent la plus grande biodiversité. Ainsi nos vieilles forêts, véritables refuges pour des milliers d’espèces animales et végétales, sont aussi les endroits où l’on retrouve plus de carbone comparativement aux jeunes forêts perturbées par l’industrie forestière. Au même titre, les milieux humides intacts sont beaucoup plus riches en carbone et en espèces que ceux qui ont été drainés ou perturbés. Voilà pourquoi nous devons faire tout en notre pouvoir pour protéger ce qu’il nous reste de plus précieux.

Une initiative inédite en collaboration avec de nombreux acteurs

Protéger nos milieux naturels est possible et réaliste à court terme, et les Québécois-es ont un grand pouvoir d’influence pour permettre leur sauvegarde. C’est pourquoi le projet Nature alliée compte mobiliser la population et appuyer la protection de plus de 40 sites portés par des acteurs locaux, des communautés autochtones, des MRC et des municipalités au Sud comme au Nord. Ces sites, actuellement menacés par les coupes forestières, le développement minier, l’étalement urbain ou l’expansion du réseau routier, sont documentés et étudiés par plusieurs équipes de recherche qui collaborent au projet afin de démontrer les bienfaits climatiques et écologiques qu’offrira leur protection. Parmi les principaux partenaires scientifiques de Nature alliée, mentionnons l’Institut National de Recherche Scientifique (INRS), l’Université Laval, l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).

À terme, l’objectif de cet ambitieux projet est de contribuer à l’atteinte de la cible de 30% d’aires protégées au Québec d’ici 2030. Grâce à la mobilisation des acteurs de la conservation partout au Québec, à l’acquisition de nouvelles connaissances sur la dynamique du carbone et la documentation de dizaines de sites couvrant plus de 2 millions d’hectares, le projet Nature alliée se veut une opportunité en or pour le gouvernement du Québec de mettre à l’abri ces écosystèmes riches en carbone et d’une grande valeur écologique et bioculturelle pour le bénéfice de toutes et tous.  
Les solutions sont à notre portée ! Pour suivre nos avancements ou consulter nos contenus informatifs sur le carbone, rendez-vous sur www.nature-alliee.org et suivez les réseaux sociaux de Nature Québec et de la SNAP Québec.  

La science derrière les bienfaits de la conservation pour le climat

La crise climatique est principalement alimentée par l’augmentation du carbone dans l’atmosphère sous forme de dioxyde de carbone et de méthane. Ces gaz à effet de serre (GES) proviennent surtout de la combustion des énergies fossiles et de la destruction des écosystèmes. Afin de freiner cette crise, le grand défi auquel nous faisons face est de pouvoir diminuer radicalement les émissions de GES et de rapidement retirer le carbone de l’atmosphère afin d’éviter d’aggraver les changements climatiques.

La bonne nouvelle est qu’il existe justement une technologie révolutionnaire qui permet de capter le carbone de l’air, libérer de l’oxygène, filtrer l’eau et servir d’habitat essentiel pour des milliers d’espèces animales et végétales: la nature! 

Effectivement, lorsqu’ils sont laissés à l’état naturel, les forêts et les milieux humides sont de véritables usines à capter le carbone, en plus d’offrir une myriade d’autres bienfaits pour l’environnement et la société. Grâce à la photosynthèse et l’énergie du soleil, les arbres et la végétation captent le dioxyde de carbone de l’atmosphère pour le convertir en sucres et les emmagasiner dans leurs branches, feuilles, troncs et racines; une vraie merveille de la nature dont nous n’avons plus le luxe de nous passer.

Ainsi, au fil du temps, les forêts laissées à elles-mêmes contiennent de 30% à 50% plus de carbone que celles qui sont exploitées ou dégradées5. De la même façon, les milieux humides encore intacts, comme nos grandes tourbières boréales, emmagasinent du carbone depuis des millénaires et contiennent parmi les plus grandes concentrations de carbone terrestre du globe6

À l’inverse, couper les forêts et détruire les milieux riches en carbone accélère le réchauffement climatique en provoquant le relargage du carbone de façon hâtive vers l’atmosphère et en empêchant les arbres et la végétation de poursuivre leur rôle de capteur de carbone7

Même en prenant en compte les émissions évitées par l’usage du bois en remplacement d’autres matériaux ayant une forte empreinte carbone, comme le béton, la dette de carbone provoquée par la perturbation des forêts et la décomposition de ces produits prendra près d’un siècle avant d’être compensée par les arbres en croissance8. Face à l’urgence d’agir pour contrer les crises du climat et de la biodiversité, ce sont là des décennies d’attente dont nous ne disposons malheureusement pas. 

Finalement, en comparaison avec une forêt intacte laissée à elle-même, un hectare de forêt coupée aura retiré environ 76 tonnes de CO2 équivalent de moins de l’atmosphère que la forêt dans son état naturel9.  Éviter la destruction des écosystèmes devient donc un enjeu de plus en plus criant et une solution naturelle de lutte contre les changements climatiques. En protégeant nos milieux naturels, nous nous retrouvons à accomplir une triple tâche:  

1. Nous évitons de libérer des millions de tonnes de carbone stockées dans les arbres, la végétation, la litière et les sols ;

2. Nous permettons aux arbres et à la végétation de continuer à capter activement du carbone de l’atmosphère ;  

3. Nous aidons les écosystèmes à maintenir les habitats pour les espèces animales et végétales tout en offrant une plus grande capacité à résister et à s’adapter aux changements climatiques en cours.


1  Banque de données des statistiques officielles sur le  Québec. Transport routier. https://bdso.gouv.qc.ca/pls/ken/ken213_afich_tabl.page_tabl?p_iden_tran=&p_lang=1&p_m_o=SAAQ&p_id_raprt=3372#tri_age=1&tri_tertr=0
“Forest related greenhouse gas fluxes in Québec, Canada”. Accessed on 29/01/2025 from www.globalforestwatch.org.

2 Garneau, M., & Van Bellen, S. (2016). Synthèse de la valeur et la répartition du stock de carbone terrestre au Québec. Rapport final présenté au Ministère du Développement durable, Environnement et Lutte contre les changements climatiques du Québec.

Margolis HA, Nelson RF, Montesano PM, et al. (2015) Combining satellite lidar, airborne lidar, and ground plots to estimate the amount and distribution of aboveground biomass in the boreal forest of North America. Canadian Journal of Forest Research 45: 838-855. 

Nelson R, Boudreau J, Gregoire TG, et al. (2009) Estimating Quebec provincial forest resources using ICESat/GLAS. Canadian Journal of Forest Research 39: 862-881.

3 Banque de données des statistiques officielles pour le Québec. Transport routier. Gouvernement du Québec. Consulté le 16 janvier 2025.  https://bdso.gouv.qc.ca/pls/ken/ken213_afich_tabl.page_tabl?p_iden_tran=&p_lang=1&p_m_o=SAAQ&p_id_raprt=3372#tri_age=1&tri_tertr=0

4 Sothe, C., Gonsamo, A., Arabian, J., Kurz, W. A., Finkelstein, S. A., & Snider, J. (2022). Large soil carbon storage in terrestrial ecosystems of Canada. Global Biogeochemical Cycles, 36, e2021GB007213. https://doi.org/10.1029/2021GB007213   

5 Noormets, A., Epron, D., Domec, J. C., McNulty, S. G., Fox, T., Sun, G., & King, J. S. (2015). Effects of forest management on productivity and carbon sequestration: A review and hypothesis. Forest Ecology and Management, 355, 124-140. https://doi.org/10.1016/j.foreco.2015.05.019

6 Sothe, C., Gonsamo, A., Arabian, J., Kurz, W. A., Finkelstein, S. A., & Snider, J. (2022). Large soil carbon storage in terrestrial ecosystems of Canada. Global Biogeochemical Cycles, 36, e2021GB007213. https://doi.org/10.1029/2021GB007213

7 James, J.; Harrison, R. The Effect of Harvest on Forest Soil Carbon: A Meta-Analysis. Forests 2016, 7, 308. https://doi.org/10.3390/f7120308 

Moreau L, Thiffault E, Beauregard R. (2023). Assessing the Effects of Different Harvesting Practices on the Forestry Sector’s Climate Benefits Potential: A Stand Level Theoretical Study in an Eastern Canadian Boreal Forest. Forests. 2023; 14(6):1109. https://doi.org/10.3390/f14061109 

Noormets, A., Epron, D., Domec, J. C., McNulty, S. G., Fox, T., Sun, G., & King, J. S. (2015). Effects of forest management on productivity and carbon sequestration: A review and hypothesis. Forest Ecology and Management, 355, 124-140. Soimakallio, S., Böttcher, H., Niemi, J., Mosley, F., Turunen, S., Hennenberg, K. J., Reise, J., & Fehrenbach, H. (2022). Closing an open balance: The impact of increased tree harvest on forest carbon. GCB Bioenergy, 14, 989–1000. https://doi.org/10.1111/gcbb.12981

8 Moreau L, Thiffault E, Beauregard R. (2023). Assessing the Effects of Different Harvesting Practices on the Forestry Sector’s Climate Benefits Potential: A Stand Level Theoretical Study in an Eastern Canadian Boreal Forest. Forests. 2023; 14(6):1109. https://doi.org/10.3390/f14061109 

Brown, Michelle L., Charles D. Canham, Thomas Buchholz, John S. Gunn, and Therese M. Donovan. 2024. “ Net Carbon Sequestration Implications of Intensified Timber Harvest in Northeastern U.S. Forests.” Ecosphere 15(2): e4758. https://doi.org/10.1002/ecs2.4758 Soimakallio, S., Böttcher, H., Niemi, J., Mosley, F., Turunen, S., Hennenberg, K. J., Reise, J., & Fehrenbach, H. (2022). Closing an open balance: The impact of increased tree harvest on forest carbon. GCB Bioenergy, 14, 989–1000. https://doi.org/10.1111/gcbb.12981

9 Giasson et al. 2023.  Carbon balance of forest management and wood production in the boreal forest of Quebec (Canada). Front. For. Glob. Change, Sec. Forests and the Atmosphere. Volume 6 – 2023. https://doi.org/10.3389/ffgc.2023.1242218