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Véronique est responsable de la conservation bioculturelle à la SNAP Québec depuis 2018. Elle termine aussi son doctorat sur les aires protégées autochtones en milieux côtiers. Elle aime autant flâner dans les musées des grandes villes que cuire la bannique sur un feu de camp au milieu de la taïga.
Le Saint-Laurent, cours d’eau magnifique, majestueux, et grandiose fait partie intégrante de notre ADN. Nous le buvons. Nous le mangeons. Nous le naviguons. Tout cela, nous le faisons trop souvent sans réfléchir aux effets cumulatifs de nos actions ni au fait qu’il existe une limite à ce que le fleuve peut subir.
Or, depuis près de deux siècles, nos impacts sur le Saint-Laurent ont été significatifs. La pandémie, qui remet en perspective ce qui est essentiel, représente une occasion à ne pas manquer de réfléchir à la nécessité de limiter nos impacts sur le fleuve, en particulier ceux liés à la navigation. Au lieu de continuer à ancrer notre vision à long terme dans une perspective de croissance continue, pourquoi ne pas cibler plutôt l’essentiel? Pourquoi ne pas envisager de mettre en place un contingentement du trafic maritime, axé sur des retombées positives et pérennes et des impacts négatifs minimum pour les communautés humaines et écologiques? Puisque que le gouvernement du Québec élabore actuellement sa nouvelle Vision Maritime et que plusieurs nouveaux projets de développement sont à l’étude dans le fleuve, il est temps d’y réfléchir maintenant.
Le Saint-Laurent est donc un fleuve aux usages multiples et vitaux : il fournit une source de nourriture et d’eau pour des millions de gens et sert d’habitat pour des centaines, voire des milliers d’espèces vivantes. Le Saint-Laurent peut donc être qualifié de système socio-écologique complexe. En d’autres mots, c’est un milieu où interagissent étroitement des communautés humaines et écologiques, à travers une multitude d’échanges, de partages et d’usages.
Ce n’est par ailleurs pas un hasard si [le Saint-Laurent] est autant fréquenté par les navires puisqu’il représente une voie de navigation stratégique utilisée depuis des millénaires.
Ce n’est par ailleurs pas un hasard s’il est autant fréquenté par les navires puisqu’il représente une voie de navigation stratégique utilisée depuis des millénaires. Les rapides de Lachine ont longtemps constitué un obstacle vers les Grands Lacs, contribuant à faire de Tiohtià:ke, Mooniyang, Munianit ou Montréal, un arrêt obligé le long du parcours et ce lieu de rencontre entre les nations.
Au cours du dernier siècle, on a vu une augmentation de la fréquentation du fleuve, du nombre de bateaux et de navires qui y circulent. Ces navires transportent des céréales, du minerai provenant du sous-sol québécois, des gens et des millions de conteneurs d’objets et biens de toutes sortes en provenance ou à destination d’ailleurs.
Quels sont les impacts de toute cette circulation? L’érosion des berges due au batillage, une transformation et un remodelage du fleuve, particulièrement en amont de Québec en sont deux notables. Ces changements sont parfois invisibles pour les passants, tel que pour le dragage du chenal sur des dizaines de mètres de large entre Québec et Montréal. D’autres projets ont cependant eu des impacts beaucoup plus visibles, telle que la construction la voie maritime entre Montréal et les Grands Lacs. Non, la digue qui accueille maintenant les cyclistes entre Saint-Lambert et Sainte-Catherine n’est pas naturelle.
Puis, il y a la construction d’infrastructures portuaires pour accueillir ces navires comme le nouveau terminal proposé à Contrecœur. Un impact majeur de ces transformations, en plus d’une dégradation des paysages, est la destruction d’habitats pour la faune, dont des espèces en péril telles que le chevalier cuivré, espèce unique au Québec pour laquelle la SNAP Québec soutient la mise en place de mesures de protection.
Jusqu’où peut-on pousser la multiplication des impacts sur le fleuve sans dépasser un seuil critique au-delà duquel les dommages seront tel qu’ils changeront la nature du Saint-Laurent?
Une augmentation des navires augmente aussi les impacts pour les nombreuses baleines qui fréquentent le Saint-Laurent, soit les risques de collisions et la nuisance sonore pour ces animaux qui dépendent des sons pour communiquer entre eux. La SNAP Québec milite aussi pour une meilleure protection de la population de bélugas du Saint-Laurent malheureusement toujours en voie de disparition et particulièrement vulnérable au bruit, selon une étude récente.
La question à se poser semble donc être : jusqu’où peut-on pousser la multiplication des impacts sur le fleuve sans dépasser un seuil critique au-delà duquel les dommages seront tel qu’ils changeront la nature du Saint-Laurent? Est-il sage de même s’approcher de ce seuil limite? L’a-t-on déjà atteint? Quand on se pose ces questions, l’idée même de la croissance sans limites nous semble soudainement moins logique, moins souhaitable.
Une réflexion est nécessaire sur la capacité de support de ce système socio-écologique, de ce milieu de vie pour les humains, les plantes et les animaux qu’est le Saint-Laurent. Il apparait non seulement sage, mais impératif de poser une limite sur les pressions qu’on y exerce, afin de se concentrer sur l’essentiel et les retombées positives, pérennes et viables. Le contingentement du trafic maritime constitue une étape cruciale dans ce processus.
Crédits photos : Jocelyn Praud, GREMM