Partager ce contenu

Directeur conservation et climat à la SNAP Québec
Nos milieux naturels sont d’une grande importance pour la régulation du climat, car ils absorbent et stockent d’immenses quantités de carbone. Si l’on veut protéger ces milieux riches en carbone et ainsi lutter contre la crise climatique, il faut tout d’abord les comprendre. Afin d’acquérir de nouvelles connaissances sur la dynamique du carbone, la SNAP Québec, Nature Québec et les partenaires du projet Nature alliée ont sollicité la participation de plusieurs équipes de recherche spécialisées dans ce domaine d’étude.
Le projet contribue ainsi non seulement à l’obtention de nouvelles données sur le carbone, mais à la création de nombreux partenariats interuniversitaires en collaboration avec des communautés autochtones, des municipalités et des groupes citoyens. En fusionnant leurs idées et uniformisant leurs méthodologies, les équipes de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), de l’Université de Sherbrooke (UdS), de l’Université Laval (UL) et de l’Institut National de la Recherche Scientifique (INRS) ont mis en place des protocoles qui permettent de mesurer la quantité de carbone contenue dans les écosystèmes tempérés et boréaux, tant dans la végétation que sous terre, là où on retrouve la grande majorité du carbone forestier.
Voici quelques exemples de leurs travaux dans le cadre du projet Nature alliée.
Mesurer le carbone en forêt tempérée
En vue de mieux planifier la protection d’écosystèmes riches en carbone, l’équipe de l’UQO prévoit échantillonner plus de 150 parcelles de 400m2 à travers le Québec entre mai 2024 et octobre 2025. Ce réseau de parcelles couvre différentes caractéristiques forestières (ex : drainage, type de dépôt, présence de coupes forestières, âge du peuplement, etc.). Déjà, plus de 80 parcelles ont été échantillonnées en 2024.
Les parcelles sont réparties dans de vieilles forêts et des coupes forestières à proximité afin de comparer les stocks de carbone sur des sols aux conditions similaires. Dans chaque parcelle, le carbone se trouvant dans la biomasse végétale des arbres (l’écorce, les branches, le feuillage, le bois, et les racines) est estimé en fonction de l’espèce. Les petits arbres, arbustes, les souches et les débris ligneux sont aussi comptabilisés. Même le carbone présent dans les herbacées est inclus dans le calcul!
En plus d’estimer le carbone dans le couvert végétal, des échantillons de sols sont pris et ramenés au laboratoire pour analyse. Ces échantillons incluent la litière du sol, l’horizon organique, et le sol minéral jusqu’à 30 centimètres de profondeur.
Au total, ce sont environ 1500 échantillons qui seront pris à travers la forêt tempérée.

« Si l’on veut agir afin de préserver et de restaurer l’intégrité de la nature qui nous entoure, dont son carbone et sa biodiversité, il est important d’essayer de la comprendre. Pour ce faire, prendre des données terrains sont nécessaires, car cette nature, résultant de milliards d’années d’évolution, est très complexe. »
— Marie-Ève Roy, biologiste, diplômée au doctorat au Département des sciences naturelles de l’UQO et membre du comité scientifique du projet Nature alliée
Mesurer l’empreinte climatique des coupes forestières en forêt boréale
Une visite en forêt boréale est suffisante pour constater l’immense empreinte de l’industrie sur la forêt. Ce n’est qu’avec des études approfondies sur la dynamique du carbone que l’on peut mesurer l’empreinte climatique des opérations forestières. L’UQAT travaille depuis longtemps sur la caractérisation de la forêt boréale, et plus spécifiquement sur son contenu en carbone.
Dans le cadre du projet Nature alliée, les équipes de Nicole Fenton et de Xavier Cavard ont été capable de ressortir de nombreuses données sur le carbone mesuré par le passé en plus de coordonner la prise d’échantillons dans les zones encore peu étudiées comme dans le nord du territoire de la Première Nation Abitibiwinni et sur le territoire de la Nation crie de Waswanipi. Des travaux menés à l’été 2025 permettront de collecter le maximum d’échantillons de sols en forêt en collaboration avec les communautés.

« Faire des projets scientifiques avec les gardiens du territoire renforce la relation de confiance des Premières Nations envers notre travail et assure que notre recherche est menée dans le respect des valeurs et des préoccupations des communautés locales. Notre recherche devient aussi plus pertinente et mieux ancrée dans la réalité du terrain que ces groupes connaissent mieux que personne. »
— Sylvain Delagrange, professeur d’écologie fonctionnelle et écophysiologie végétale à l’Institut des Sciences de la forêt tempérée de l’UQO
Étudier les stocks de carbone des milieux humides
Parmi les sites les plus riches en carbone au Québec, les tourbières en zone boréale, et particulièrement en Abitibi et dans le Nord-du-Québec, couvrent d’immenses étendues encore intactes et sans accès terrestre. Les travaux de recherche nécessitent donc l’utilisation de drones et d’un hélicoptère pour permettre d’atteindre les secteurs visés pour la conservation.
La communauté Anishinaabek d’Abitibiwinni a fait de l’étude des stocks de carbone des tourbières un de ses outils principaux pour pouvoir réussir à les protéger. En partenariat avec l’Université de Sherbrooke et l’INRS, une méthodologie a été développée pour prendre des échantillons et des mesures de profondeur de tourbe dans les tourbières et ainsi estimer la quantité de carbone organique présent.

« Les tourbières sont parmi les plus importants puits et réservoirs de carbone de la planète. Elles couvrent à peine 3% de la surface du globe mais leurs sols renferment deux fois plus de carbone que l’ensemble de la végétation de toutes les forêts de la planète! Avec notre travail de collaboration, on arrivera à dresser un meilleur portrait de la situation des tourbières québécoises et, surtout, de leur importance dans la séquestration du carbone. »
— Julien Arsenault, chercheur postdoctoral au département de géomatique appliquée à l’Université de Sherbrooke
Analyser les échantillons en laboratoire
Après l’échantillonnage vient l’analyse : direction laboratoire de l’Institut des Sciences de la Forêt tempérée, où l’on mesure la quantité de carbone végétal et du sol de tous les échantillons. C’est ici que l’on sèche tous les échantillons, processus qui prend plusieurs semaines. Ensuite, les échantillons sont introduits dans une machine allant jusqu’à 1400 °C qui permet de mesurer de façon très précise le carbone contenu.
Utiliser la technologie et la modélisation
Bien que l’échantillonnage terrain soit fort efficace pour déterminer la quantité de carbone à un endroit, parfois il n’est pas possible d’accéder à un site. Heureusement, les nouvelles technologies d’imagerie permettent d’estimer la quantité de carbone grâce à des images de drones, ou encore des images satellitaires. En plus de permettre d’étudier des sites inaccessibles, coupler des sites échantillonnés et leurs caractéristiques avec des données télémétriques permettra au projet Nature alliée de construire un modèle pour estimer où se trouvent les milieux riches en carbone au Québec. C’est là que l’INRS apporte son expertise.

« Nous utilisons des techniques avancées d’analyse d’images basées sur l’IA et l’apprentissage profond pour la cartographie à haute résolution à deux échelles différentes : l’imagerie de drone avec une résolution de quelques centimètres et l’imagerie satellite avec une résolution de quelques mètres. Une fois que nous aurons ces cartes, l’étape suivante consistera à estimer le potentiel de stockage du carbone pour chaque classe spécifique de tourbières et de forêt à l’aide des techniques d’apprentissage automatique. »
— Saeid Homayouni, professeur titulaire au Centre Eau Terre Environnement de l’INRS
Comprendre les impacts de la dégradation des milieux naturels
L’équipe de l’INRS s’intéresse à la comparaison entre différents milieux naturels (forêts, marais, tourbières ouvertes et tourbières boisées) et perturbés (transformation en parcelles engazonnées ou agricoles) afin de comprendre comment leur dégradation peut entraîner une réduction dans le stockage du carbone sur un territoire donné. Les études de l’INRS allient des échantillonnages de terrain et de laboratoire pour comprendre les différentes formes de carbone présentes à des analyses de géomatique et de télédétection pour permettre d’extrapoler les teneurs en carbone à différentes échelles sur le territoire.
« En comparant des écosystèmes naturels protégés et d’autres perturbés par les activités anthropiques, les informations acquises par l’équipe permettront de bien informer les décideurs locaux et nationaux sur l’impact des initiatives de conservation le long de l’axe du Saint-Laurent dans le sud du Québec, un territoire fortement occupé par les populations humaines. » affirme Louise Hénault-Ethier, professeure associée au Centre Eau Terre Environnement de l’INRS.
« Les connaissances acquises permettront d’appuyer le développement d’outils d’écofiscalité et de modélisation spatio-temporelles pour renforcer la préservation des différents milieux », selon Maxime Fortin Faubert, stagiaire post-doctoral coordonnateur du projet à l’INRS.
« Ce projet contribue d’ailleurs à la formation de près d’une dizaine de personnes hautement qualifiées dans le secteur de la lutte aux changements climatiques, un domaine stratégique à l’échelle nationale », ajoute Anne Ola, professeure adjointe au Centre Eau Terre Environnement de l’INRS.
Étudier les services écologiques parallèles au stockage de carbone
En plus d’étudier les bénéfices de protéger des milieux riches en carbone dans les milieux urbains et agricoles, Jérôme Cimon-Morin, professeur au département des sciences du bois et de la forêt à la Faculté de Foresterie, géographie et géomatique de l’Université Laval, étudie présentement les autres avantages que peuvent amener les milieux naturels de proximité sur la qualité de vie des gens. À terme, cette étude permettra non seulement de mieux comprendre les nombreux bénéfices des milieux naturels de proximité, mais aussi les liens entre les milieux riches en carbone et les autres bénéfices de la nature comme l’apport en eau, les îlots de fraîcheur, l’atténuation des inondations.
« L’étude nous permettra de déterminer les co-bénéfices pour la société des projets de conservation des milieux riches en carbone. Les co-bénéfices de la conservation représentent les services écologiques générés par les écosystèmes et qui procurent des avantages à la société humaine en améliorant sa qualité de vie. », conclut-il.

Le bois qui cache la forêt : le réel bilan carbone du secteur forestier québécois

Pour une économie bleue qui n’appauvrit pas l’Océan
